Faut-il bruler ses icônes ?

Pourquoi j’ai changé ma stratégie d’achat de Bourgogne blanc

Fabrice Beaugrand
6 min readFeb 21, 2020

J’ai toujours été amateur des grands vins blancs secs, avec une petite préférence pour les vins de la partie septentrionale du vignoble français, les chenins de Loire, les riesling d’Alsace et les chardonnay de Bourgogne.

Les bourgognes blancs occupent une place à part, ces vins offrant de nombreuses qualités.

À leur meilleur niveau, ils sont intenses et complexes, ils offrent un subtil mélange de fruits et de minéralité.

L’élevage en barrique leur apporte un gras et une complexité supplémentaires. Ils se marient à table en une multitude d’alliances gastronomiques.

Ils se goûtent bien jeunes et se bonifient après quelques années de garde, en gagnant en intensité et en complexité.

Enfin, ils sont compréhensibles par le plus grand nombre, des néophytes aux amateurs les plus éclairés.

Ils ont toutefois quelques points faibles.

  • Ne pas se fier à l’appellation : tous les Meursault ne se valent pas, on va du correcte au sublime.
  • Ce n’est pas l’appellation le gage de qualité mais le vigneron (qui considèrerait que tous les restaurants japonais se valent ?).

=> D’où la difficulté pour l’amateur mal renseigné ou mal conseillé d’acheter les bonnes bouteilles. Il faut privilégier le bon vigneron et c’est là que ça se complique.

  • Les meilleures Côtes de Beaune sont devenues introuvables ou hors de prix. La mondialisation du marché du vin depuis une dizaine d’années a provoqué une demande de plus en plus forte de la part de riches acheteurs, souvent étrangers, prêts à dépenser des fortunes pour se procurer les flacons des domaines les plus célèbres.
    Un marché noir s’est développé et les domaines les plus médiatiques ont augmenté leurs prix de manière très significative, les doublant pour certains tous les 5 ans.
    À chablis, les vins des deux stars Raveneau et Dauvissat ont disparu des réseaux de bons cavistes où on pouvait les acheter, pour alimenter un marché noir galopant.

Faut-il arrêter d’acheter des bourgognes blancs ?

À ce prix ?

Par forcement …

Voici ma stratégie d’achat de très bons bourgognes pour un niveau de 92-95+/100

En côte de Beaune

J’ai arrêté d’acheter à Meursault, Puligny-Montrachet et Chassage-Montrachet, je trouve les prix délirants.

Dans les années 90s et 2000s, j’ai acheté beaucoup de Meursault, Puligny-Montrachet et Chassagne-Montrachet, de domaines prestigieux comme Coche-Dury, Lafon, Leflaive, Morey, de Montille, Sauzet, Colin, Roullot et des chablis de chez Dauvissat et Raveneau.

Les prix demandés aujourd’hui ne me semblent plus en corrélation avec la qualité des vins.

D’autant plus que ces vins de garde, issus de domaines prestigieux, ont parfois mal évolué en bouteille et il n’est pas rare d’ouvrir une bouteille de 10–15 ans oxydée. À ce niveau de prix, cela fait mal !

Ce défaut appelé Pré-Ox (prématurément oxydé) est bien connu mais tabou en Bourgogne.

J’ai donc arrêté d’acheter ces vins, à l’exception de quelques bouteilles de Meursault premier cru les Perrieres de Pierre Morey, une cuvée qui ne m’a jamais déçu en 25 ans.

Je vis sur mes stocks et je croise les doigts à chaque fois que j’ouvre un Lafon ou un Coche-Dury.
Je n’ai plus de bouteille du domaine Leflaive, trop de premiers crus et grands crus des Années 90 et 2000 pré-oxydés.

Je continue de chercher la perle rare dans ces villages, mais le rapport prix plaisir est rarement au rendez-vous.

Je trouve des bons vins autour de 92/100, mais rarement mieux pour des prix entre 30–50€

J’achète occasionnellement quelques Saint-Aubin premier cru (Lamy et Marc Colin), une appellation qui a le potentiel de rivaliser avec les villages voisins mais les prix commencent à monter et on approche pour les meilleurs 40 €.

À Chablis

je vis sur mes stocks de Raveneau et de Dauvissat pour les mêmes raisons : pas question de dépenser plus de 100 € pour un premier cru et plus de 200 € pour un grand cru.

J’achète de temps en temps quelques bouteilles de William-Févre, uniquement ses meilleurs premiers et grands crus, bien que qu’ils soient devenus chers.

J’achète surtout les vins de vignerons moins médiatiques, pour les boire et les garder, des domaines comme Goisot (en marge de Chablis), bien que les vins sont considérablement impactés par le rechauffement climatique, et surtout Grossot et Nicolle qui offrent pour moins de 25 € des premiers crus très typés de grande qualité autour de 92–94/100 et au vieillissement sans faille.

C’est dans la gamme des premiers crus que je trouve les vins les plus remarquables et désirables chez ces vignerons.

Les vins de chablis gagnent à être conservés quelques années, il se révèlent et se bonifient au vieillissement.
C’est un des meilleurs investissements Prix / plaisir / garde en vin blanc et un très bon choix pour fêter un anniversaire dans 10–15 ans pour les meilleurs premiers crus, dans 20 ans pour les grands crus.

En Mâconnais (Mâcon, Pouilly-Fuissé et Saint-Véran)

Je fais le plein et je remplis ma cave des vins de cette région qui dispose d’une génération de vignerons talentueux et ambitieux qui visent l’excellence, de superbes terroirs.

Les vins produits sont très proches en style des meilleurs vins de la côte de Beaune.

Mes dernières dégustations à l’aveugle, où j’ai mélangé les différentes régions, ont démontré que les vins de Guffens et Forest rivalisent avec les stars de Meursault et de Puligny-Montrachet.

de Chablis à Pouilly-Fuissé en passant par Meursault et Puligny-Montrachet
Quelques blancs servis à l’aveugles

Cette région souffre d’un manque de notoriété, injustifié lorsque l’on goûte les meilleurs, mais qui est financièrement bénéfique pour l’amateur qui achète ses vins. C’est une source de rapport prix plaisir unique en Bourgogne.

Attention tout n’est pas bon, comme partout dans le vignoble, il faut avoir les bonnes adresses.

Le Mâconnais est une région à plusieurs vitesses.

En bas de mon échelle de valeurs, des domaines à la viticulture approximative souvent en chimie avec des rendements importants (on fait « pisser la vigne ») sur des terroirs médiocres mais productifs.
On vendange à la machine, avec une logique économique qui consiste à produire à moindre coût le maximum de bouteilles vendues à un prix modique. Des domaines qui tirent la région vers le bas.

Au top de ma hiérarchie, des domaines de petite taille, menés par des vignerons talentueux qui bichonnent leurs vignes, sur de superbes terroirs qui n’ont rien à envier aux coteaux de la côte de Beaune.
Il suffit de regarder les parcelles au pied de la roche de Vergisson.

Avec des rendements maîtrisés, une viticulture exemplaire qui permet de produire des raisins de qualité chargés en saveur, vendangés et triés à la main, vinifiés et élevés dans les règles de l’art, à la manière de ce qui se fait de mieux dans les caves de Meursault.
Bien évidement ils sontr plus chers que les bouteilles médicocres précédemment citées.

Mes références aujourd’hui sont des domaines comme Guffens, Ferret, Valette, Cordier, Merlin, Saumaise et surtout Eric Forest.

Comparatif de style des vins

pour comprendre les similitudes et différences entre les meilleurs vins du Mâconnais, de Chablis et de la côte de Beaune :

Comparatif de niveau de prix

Basé sur mon expérience de dégustateur et d’acheteur, comparaison du niveau de vin qu’on peut espérer dans chaque région par fourchette de prix :

Beaucoup d’acheteurs de Bourgogne n’ont pas encore pris conscience de l’excellence des meilleurs domaines du Mâconnais. Ils restent bloqués sur leurs habitudes et leurs a priori.
Tant mieux pour nous.

Laissons les vins chers aux spéculateurs, investisseurs et buveurs d’étiquettes et régalons-nous sans nous ruiner avec les meilleurs Mâcon, Saint-Véran, et Pouilly-Fuissé.

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Fabrice Beaugrand
Fabrice Beaugrand

Written by Fabrice Beaugrand

Fondateur du cercle Beaugrand Vins, www.beaugrandvins.com. Co-fondateur des guides des vins de la Tulipe Rouge, animateur clubs d’œnologie. #vin #vins

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