Pourquoi garder ses vins blancs ?
La réponse est dans cette verticale sur 10 ans de Cairn Jurançon sec
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Les grands vins blancs ont un potentiel de garde comparable aux rouges, une aptitude à se bonifier et à surprendre après quelques années au repos dans la cave.
Rien de mieux qu’une verticale d’un même vin, c’est-à-dire une dégustation d’une même cuvée sur plusieurs millésimes, pour s’en convaincre. Je conçois que ce n’est pas un exercice courant, car il faut réunir les bouteilles et trouver l’occasion de les ouvrir. Les bons clubs de dégustation sont le cadre idéal pour cette pratique.
Voici donc une décade de Cairn, un jurançon sec du domaine Pyrenaïa, une cuvée confidentielle dans une appellation que j’affectionne particulièrement, qui manque injustement de notoriété. La bonne nouvelle est que les vins sont incroyablement bon marché au regard de ce que l’on a dans le verre. Des vins qui surpassent bon nombre de Pessac-Léognan ou vin du Sancerrois qui ont des profils assez similaires.
Simon Forge de vignoble Pyrenaïa est un de mes vignerons préférés dans le sud-ouest, un des plus doués. Il a réussi à hisser ses vins rouges et blancs au sommet de la production de la région … mais vous le savez déjà si vous suivez les publications Beaugrand Vins.
Cette verticale comprend 7 millésimes de 2012 (premier millésime de Simon) à 2021.
Après les avoir dégustés, je les ai répartis en 3 familles : les vins jeunes 2020 et 2021, les premières évolutions sur les 2016 et 2017 et les vins plus matures avec les 2014, 2013 et 2012.
La fougue de la jeunesse.
Les 2020 et 2021 sont un peu comme de jeunes adolescents fougueux, on fera l’hypothèse que l’enfance a été prise en charge lors de l’élevage des vins par le vigneron avant la mise en bouteille.
L’aromatique est très intense, on distingue les familles aromatiques des fruits blancs, d’agrumes et des notes exotiques, mais les arômes sont encore un peu mélangés et les éléments qui composent la bouche sont encore disparates. La puissance s’exprime avec beaucoup d’intensité et la finale nerveuse tend le vin. On prend du plaisir à les déguster jeune pour cette vitalité et cette exubérance.
Le 2020 (92–93/100) est un des millésimes les plus aboutis du cru, on peut se faire une idée de son évolution en goûtant le 2016 qui lui ressemble. Le 2021 (91/100) est plus atypique, plus floral, il ressemble à un sancerre fruité. Il pourrait évoluer comme le 2013, moins exubérant et plus ciselé que les millésimes solaires de la décade.
La raison des jeunes adultes
Les 2016 et 2017 offrent une première évolution vers plus de sagesse. Jeunes adultes, ils gagnent en cohérence, plus homogènes, les éléments ont commencé à se fondre et les vins gagnent en harmonie.
La tension commence à se fondre dans une matière qui paraît plus ronde, plus enveloppée. L’intensité aromatique a légèrement augmenté et les arômes se font plus précis : des notes de pêches, d’abricots et d’ananas s’échappent du verre par vagues successives et on commence à entrevoir les précurseurs d’arômes d’évolution, comme le miel et la truffe blanche spécifiques au petit manseng de jurançon. Ils participent déjà à la complexité de ces deux millésimes.
Le 2016 (94/100) est déjà très impressionnant et est promis à une très belle évolution (la bouteille de la série), il faudra le suivre sur 10 ans et plus. Le 2017 (92–93/100) marche dans ses pas.
La sagesse
2012, 2013 et 2014 offrent une forme de maturité et de sagesse, les vins ont atteint un premier palier de fondu et d’harmonie, ils ont gagné en rondeur. La vivacité native des jurançons secs est maintenant enveloppée dans un joli gras, les vins ont atteint une forme d’équilibre où aucun composant ne domine.
Les notes de fruits frais de jeunesse sont maintenant épaulées par des notes plus confites, légèrement épicées, la truffe est plus perceptible. Malgré cette plénitude de l’âge, ces vins conservent des finales zestées très savoureuses, ils donnent l’impression d’avoir encore gagné en persistance.
Le 2013 (93/100), issu d’un millésime plus froid, semble jouer une partition un peu différente. Dominé par des agrumes, il présente une ressemblance étonnante avec un grand riesling de terroir granitique. Il est probable qu’il ne soit qu’au début de son évolution dans ce sens.
Le 2014 (91/100), plus exotique, devrait évoluer encore lentement, en conservant ce côté baroque.
Quant au 2012 (92/100), il semble avoir atteint son apogée, pas d’urgence à le boire, il s’y maintiendra encore facilement 5 ans.
Il sera passionnant de reproduire cette dégustation dans 5 ans. Il est probable que les plus vieux millésimes auront atteint leur palier de maturité finale sans pour autant commencer à décliner. Une forme de sagesse.
En conclusion, les grands vins blancs ont un potentiel de garde et une aptitude à évoluer et à se bonifier (bien que l’on puisse les préférer jeunes). On a souvent tendance à les terminer un peu trop jeune. Il est pourtant passionnant de les suivre sur une bonne dizaine d’années, voire beaucoup plus pour certains. Dans le cas de Cairn, il est probable que 15 ans soit la bonne période.